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Urbanisme
Ces règles qui réinventent nos villes

Les notions d’usage et de destination sont au cœur de l’évolution de nos villes. Entre contrôle des meublés de tourisme, régulation des «dark kitchens» et adaptation des plans locaux d’urbanisme, les nouvelles règles visent à protéger le parc résidentiel tout en répondant aux défis des pratiques émergentes. La loi Le Meur, adoptée en 2024, renforce ces régulations pour mieux encadrer les mutations urbaines. Cette évolution, entre innovation et complexité juridique, redessine les interactions entre habitat, ­activités économiques et ­territoires.
| Le vendredi 27 décembre 2024
© Solidasrock / Adobe Stock

Depuis 2014 et l’entrée en vigueur de la loi Alur (1), le droit de l’urbanisme a été marqué par une profonde réforme des règles relatives aux destinations des constructions. Ce changement, appliqué progressivement, vise à moderniser les pratiques de planification et à harmoniser les documents d’urbanisme, notamment les plans locaux d’urbanisme (PLU), qui sont aujourd’hui tous «alurisés».
La réforme introduit une nomenclature à deux niveaux, articulée autour de cinq grandes catégories de destinations: «habitation», «commerce et activités de service», «exploitation agricole et forestière», «équipements d’intérêt collectif», et «activités des secteurs secondaire ou tertiaire», subdivisées en 23 sous-destinations. Cette approche vise à clarifier l’usage des sols tout en encourageant la mixité fonctionnelle des constructions. Par exemple, un bâtiment peut désormais accueillir différentes activités selon ses étages ou zones, facilitant ainsi la cohabitation d’habitations et de commerces. Ce système permet également aux collectivités locales de moduler les règles d’urbanisme en fonction des besoins spécifiques de leurs territoires. Les normes concernant les hauteurs de construction, les emplacements de stationnement ou les densités peuvent ainsi varier selon les destinations et sous-destinations définies dans les PLU.



Une harmonisation entre les législations sur l’urbanisme et celles sur l’usage des locaux pourrait permettre de réduire l’insécurité juridique. © Prostock-studio / Adobe Stock



Le cadre des autorisations d’urbanisme a également évolué. Les changements de destination, lorsqu’ils s’accompagnent de modifications structurelles comme des travaux sur la façade ou les structures porteuses, nécessitent un permis de construire. En l’absence de tels travaux, un changement de destination réclame tout de même une déclaration préalable. En revanche, les changements de sous-destination au sein d’une même catégorie sont dispensés d’autorisation, sauf en cas de travaux significatifs. Cette distinction, bien que claire en théorie, a généré des ambiguïtés dans son application. Par exemple, les PLU non révisés ne reconnaissent pas les sous-destinations définies par la réforme, ce qui complique l’interprétation des règles applicables. Des divergences d’interprétation entre communes ont également conduit à des contentieux, illustrant la difficulté à concilier les deux régimes. 

Indépendance des législations: un défi transversal
Un autre obstacle réside dans l’indépendance des législations. Les définitions de destination en droit de l’urbanisme ne s’appliquent pas nécessairement à d’autres cadres juridiques, comme la copropriété, les baux commerciaux ou la fiscalité. Par exemple, un immeuble qualifié d’habitation en urbanisme peut être interprété différemment dans un règlement de copropriété. Ces divergences accroissent l’insécurité juridique pour les promoteurs et les porteurs de projet, et les incertitudes pour les collectivités. La réforme tente toutefois d’apporter des solutions. L’instauration de critères uniformes au niveau national, précisés par un arrêté ministériel de 2016, vise ainsi à harmoniser les interprétations. Mais cette uniformisation a un autre effet: elle limite la marge de manœuvre des collectivités.
Pour surmonter ces défis, plusieurs pistes sont envisagées. Des ajustements pourraient clarifier l’articulation entre les différentes législations, notamment en matière de copropriété ou de fiscalité, afin de prévenir les contradictions juridiques. La création de catégories spécifiques pour des concepts émergents, comme le coworking ou le coliving, permettrait également d’adapter les PLU aux évolutions sociétales et économiques.
La réforme des destinations constitue une avancée significative pour moderniser le droit de l’urbanisme en France. Elle offre aux collectivités de nouveaux outils pour répondre aux enjeux de mixité et de sobriété foncière. Cependant, les défis liés à son application révèlent la nécessité d’un accompagnement renforcé pour garantir une transition fluide. La réussite de cette réforme dépendra de la capacité des acteurs à concilier innovation, sécurité juridique et respect des spécificités locales. 
Depuis quelques années, les frontières entre l’habitation traditionnelle et l’hôtellerie s’effacent sous l’effet de l’essor de nouvelles pratiques d’hébergement. Le coliving, les résidences-services, et les meublés de tourisme illustrent cette mutation des modes de vie, répondant à des besoins variés: flexibilité, communauté, ou encore indépendance. Ces formes hybrides posent toutefois des défis de qualification juridique. Si leurs caractéristiques matérielles rappellent souvent celles de l’habitation, leur mode d’exploitation, lui, s’inscrit davantage dans le domaine commercial.
Les premières résidences avec services, telles que les maisons de retraite ou foyers étudiants, se sont multipliées après la Seconde Guerre mondiale, ciblant des publics spécifiques. En parallèle, des formes d’hébergement touristique chez l’habitant, comme les gîtes ruraux ou les chambres d’hôtes, ont vu le jour. Aujourd’hui, les concepts se diversifient encore, mêlant des caractéristiques propres à l’habitation et des services para-hôteliers. Le coliving, par exemple, propose des chambres privées combinées à des espaces communs et des services partagés, s’adressant principalement à des jeunes actifs en quête de flexibilité.

Le casse-tête des meublés de tourisme 
Parallèlement, la location de meublés de tourisme a explosé grâce à l’émergence des plateformes en ligne, au premier rang desquelles Airbnb. Autrefois limitée à certaines périodes et zones géographiques, cette activité s’est professionnalisée, étendue aux grandes métropoles et désormais aux petites villes, villages et maisons isolées. Des sociétés de gestion offrent aujourd’hui des prestations variées, allant de la réservation à la fourniture de services para-hôteliers. Cette évolution a attiré l’attention des pouvoirs publics qui tentent de réguler cette activité. L’obligation de déclarer ces locations, instaurée dès 2009, a été renforcée par des mesures comme le plafonnement à 120 jours par an pour les résidences principales. Les collectivités locales, comme la ville de Paris, sont passées à l’offensive. En s’appuyant sur les outils offerts par la loi en matière de transformation de locaux commerciaux en meublés de tourisme, la ville a engagé des actions, avec à la clé des amendes importantes en cas de non-respect des procédures.



Les immeubles haussmanniens, conçus pour être des immeubles d’habitation, ont pour certains été transformés en bureaux. © eyetronic / Adobe Stock



Le cadre législatif et administratif tente de s’adapter à ces nouvelles réalités, mais demeure complexe. La qualification des locaux dépend souvent de critères variés: durée des séjours, public ciblé, services proposés. Les meublés de tourisme, par exemple, sont définis comme des logements meublés loués à une clientèle de passage pour des séjours de courte durée. Ils peuvent rester des meublés de tourisme au sens de l’usage quelles que soient les prestations. En revanche, en termes de destinations en droit de l’urbanisme, le critère de prestations pourra les faire basculer de la catégorie habitation à la catégorie commerciale au titre de l’hébergement touristique. Le coliving, pour sa part, se situe à mi-chemin entre l’habitation et l’hébergement touristique. Les exploitants proposent généralement des contrats flexibles, parfois en dehors du cadre des baux classiques prévus par la loi du 6 juillet 1989. Cette situation engendre des tensions, notamment en matière de conformité aux règles d’urbanisme. Par exemple, certaines résidences peuvent relever à la fois des catégories «logement» et «hébergement» selon les critères retenus.

Usage et destination: des discordances
La confusion entre les notions de destination et d’usage complique davantage la situation (lire notre entretien avec Sébastien Lamy-Willing). En urbanisme, la destination d’un bâtiment est définie par sa vocation fonctionnelle, tandis que l’usage correspond à son utilisation effective. Cette distinction, essentielle sur le plan juridique, peut toutefois donner lieu à des discordances. Par exemple, un projet de coliving peut être déclaré comme relevant de la «destination habitation», mais son exploitation réelle le rapproche d’un hébergement touristique. Cela peut entraîner des infractions aux plans locaux d’urbanisme (PLU), notamment dans les zones où certaines activités sont interdites ou soumises à des conditions plus strictes.
Les récentes jurisprudences, comme celles sur les «dark stores» à Paris, montrent que les autorités locales renforcent leur contrôle (lire ci-dessous). Dans ces affaires, des exploitants ont été sanctionnés pour avoir utilisé des locaux de manière non conforme au PLU. Cette tendance pourrait s’étendre aux meublés de tourisme et aux résidences de coliving, augmentant ainsi les risques pour les propriétaires et les exploitants.
Face à ces défis, une harmonisation entre les législations sur l’urbanisme et celles sur l’usage des locaux pourrait permettre de réduire l’insécurité juridique. Par exemple, la création d’une catégorie spécifique pour le coliving permettrait d’éviter les ambiguïtés actuelles. La loi Le Meur (2), adoptée en première lecture en janvier 2024 va dans ce sens. Elle vise à renforcer la régulation des meublés de tourisme tout en clarifiant les articulations entre autorisations d’urbanisme et usages des locaux. Toutefois, ces évolutions législatives devront tenir compte de la diversité des modèles économiques, notamment pour les exploitants de résidences avec services, afin de ne pas entraver l’innovation dans ce secteur.
Ces mutations reflètent des changements profonds dans les modes de vie et les attentes des usagers. Elles soulèvent également des enjeux cruciaux pour les territoires, notamment en matière de préservation des logements disponibles et de gestion des espaces urbains. Trouver un équilibre entre régulation et flexibilité sera essentiel pour répondre à ces défis tout en soutenant les innovations qui façonnent l’habitat de demain. Avec une harmonisation législative et des outils adaptés, il deviendra possible de mieux encadrer ces nouveaux usages, tout en préservant les droits des habitants et en répondant aux besoins des professionnels.  

(1) Loi n°2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové.
(2) Loi n°2024-1039 du 19 novembre 2024 visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l’échelle locale.


 

Dark kitchens: un business en expansion

Les «dark kitchens», ou «cuisines fantômes», se sont multipliées dans les grandes villes françaises depuis la pandémie de Covid-19. En 2024, on estime leur nombre à environ 1.500. Ces structures, sans salle ni clientèle sur place, réduisent les coûts d’exploitation et engendrent de juteux profits, même si les commissions des plateformes de livraison, entre 28% et 30%, grèvent leurs marges. La prolifération de ces cuisines fantômes suscite des critiques, notamment liées aux nuisances urbaines des livreurs. Depuis le 1er juillet 2023, une nouvelle sous-destination, intitulée «cuisine dédiée à la vente en ligne», a été créée dans le code de l’urbanisme, permettant aux municipalités de mieux réguler leur implantation. Malgré ce cadrage, le marché continue de croître, boosté par la livraison à domicile, avec un chiffre d’affaires attendu de 10,3 milliards d’euros en 2024, soit 19% des revenus de la restauration en France.


Dark stores: les supermarchés du dernier kilomètre

Les «dark stores», ces supermarchés sans clients dédiés exclusivement à la préparation de commandes en ligne, ont connu une forte croissance en France ces dernières années. En 2022, Paris comptait environ 60 à 80 de ces établissements, selon différentes sources. Ces espaces, souvent situés dans des zones urbaines denses, permettent aux enseignes de répondre à la demande croissante du commerce en ligne, qui représentait environ 10% du commer­ce de détail en France en 2023. Toutefois, leur implantation suscite des débats, notamment en raison de leur impact sur le commerce de proximité et l’urbanisme. En mars 2023, le Conseil d’Etat a confirmé que les «dark stores» devaient être considérés comme des entrepôts, renforçant ainsi les réglementations encadrant leur développement. Malgré ces controverses, le secteur continue de croître, porté par l’essor du e-commerce, qui a généré près de 160 milliards d’euros en France en 2023.





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Retrouvez ces articles et l’ensemble du dossier consacré à l’usage et à la destination des biens immobiliers dans le magazine Géomètre n°2231, janvier 2025, en consultant notre page «Le magazine».